Mardi, Apple renouvellera sa gamme de téléphones. Depuis plusieurs mois, une série de révélations permettent de dresser son portrait. Anatomie d’une rumeur.

19 avril 2010. C’est la panique chez Apple. Ce matin-là, deux jours après une première apparition sur Engadget, un prototype d’iPhone 4 se retrouve exposé sous toutes les coutures par un autre blog, Gizmodo, dans une série de dix-sept photos. Camouflé dans une épaisse coque noire lui donnant l’apparence d’un iPhone 3GS, le téléphone a été oublié par un employé d’Apple dans un bar. Immédiatement, Steve Jobs contacte Brian Lam, éditeur du blog, pour exiger le retour du prototype à Cupertino, le siège d’Apple. Mais il est déjà trop tard.

Près d’un an et demi plus tard, l’impensable scénario ne s’est pas reproduit. À la veille d’une présentation consacrée à l’iPhone, seules des pièces détachées et des housses de protection pour les nouveaux iPhone sont apparues en photo, sans que l’on sache si elles annoncent la sortie d’un vrai iPhone 5, ou seulement d’un iPhone 4 amélioré (l’iPhone 4S). Apple, qui s’échine à maintenir le secret autour de ses futurs produits pour amplifier l’effet de surprise et tenir ses concurrents dans le flou, est parvenu à sauver l’essentiel.

Une maquette conçue par des amateurs
Les indices ne manquent pourtant pas. Jeudi dernier, un site internet allemand, BENM.AT, a mis en ligne une vidéo d’une maquette, réalisée par ses soins, qui ressemblera à 95% au futur iPhone 5, prétend-il. On y trouve des éléments attribués de longue date à ce nouveau téléphone : une coque plus fine au dos bombé (les sites spécialisés parlent d’une forme de «goutte d’eau»), un bouton d’accueil remplacé par une surface tactile plus facile à manier, un appareil photo de 8 mégapixels (au lieu de 5) et un grand écran de 4 pouces occupant toute la largeur du téléphone.

Pour réaliser cette maquette, le site allemand s’est fondé sur une série de rumeurs peu à peu érigées au rang de certitudes. Certaines caractéristiques relèvent de simples déductions, comme la présence d’un processeur A5 plus puissant, le même que sur l’iPad 2, ou l’ajout d’une fonction de reconnaissance vocale, aperçue dans le code du système iOS 5. D’autres indices, plus gênants, découlent de sources qu’Apple n’est pas parvenu à tarir.

Pour en trouver l’origine, il faut remonter la chaîne de fabrication de l’iPhone jusqu’en Asie. Depuis plusieurs semaines, les sous-traitants d’Apple s’activent pour concevoir un nombre croissant de lentilles, de surfaces tactiles ou de batteries. Ces variations de production, annonciatrices de la sortie de nouveaux modèles, n’ont pas échappé aux analystes présents sur place. Alors qu’il s’est écoulé six mois entre la présentation et la sortie du premier iPhone en 2007, les délais sont cette fois trop courts pour masquer ces grandes manœuvres. Les stocks d’iPhone doivent être conséquents pour aborder la période stratégique de Noël. En France, Orange s’attend à vendre le nouvel iPhone vers le 15 octobre.

Fuites et paranoïa chez Foxconn

(La coque avant d’un nouveau modèle d’iPhone, ressemblant à l’iPhone 4.)

Les sous-traitants n’ont toutefois pas de vision claire du produit final et la hausse de leurs cadences de production ne peut révéler, au mieux, que des informations parcellaires. Les iPhone sont en effet assemblés dans les usines de Foxconn, de véritables forteresses. Dans la ville-usine de Shenzhen, les ouvriers passent par des détecteurs de métaux et des systèmes de reconnaissance biométrique. La paranoïa totale, inculquée par Apple, s’ajoute à des conditions de travail déjà éprouvantes. En juillet 2009, un salarié de Foxconn s’est donné la mort après avoir été accusé d’avoir dérobé un prototype d’iPhone, qu’il avait en fait égaré. Cet événement tragique a été le prélude d’une série de suicides qui ont entaché la réputation de la marque américaine.

Les contrôles renforcés ne suffisent de toute façon pas à stopper les fuites. Et Apple en a à nouveau fait les frais. Cet été, des pièces détachées d’un nouveau modèle d’iPhone, ressemblant fortement à l’iPhone 4 actuel (l’iPhone 4S), se sont retrouvées disséquées sur des blogs et des sites spécialisés. Le prototype d’un nouveau téléphone, présenté cette fois comme étant l’iPhone 5, aurait également été dérobé à Shenzhen, a affirmé la semaine dernière le blog MIC Gadget. BENM.AT s’en serait inspiré pour arrêter les dimensions sa maquette.

Pour les sites spécialisés, obtenir la primeur de ces informations est l’assurance de records d’audience et de reprises dans le monde entier. En 2010, Gizmodo a payé 5000 dollars pour mettre la main sur le prototype de l’iPhone 4. Ce week-end, le blog a récidivé en publiant une photo de la coque de ce qui pourrait être un nouveau modèle d’entrée de gamme d’Apple, photographié dans une nouvelle usine brésilienne.

es publications ne sont pourtant que la partie émergée d’une véritable économie de la rumeur qui s’est créée autour des futurs produits Apple. Les fabricants de housses copient les tailles des prototypes pour être présents le plus tôt possible dans les linéaires. Cette méthode leur a déjà permis de concevoir à l’avance des coques pour l’iPad 2, conduisant au passage deux employés de Foxconn en prison. Les tuyaux sur Apple peuvent aussi être précieux pour prendre des positions en Bourse. Fin 2009, un cadre de Samsung a révélé des chiffres sur les commandes d’écran de l’iPad. Son contact est actuellement jugé aux États-Unis pour délit d’initié.

(Des housses pour le supposé iPhone 5, déjà en vente en Chine.)

iPhone 4S, iPhone 5 ou les deux ?
Ce foisonnement de rumeurs n’est pas forcément nuisible pour Apple, qui y trouve un moyen d’alimenter le suspense et de scénariser ses annonces à peu de frais. En janvier 2010, un article du Wall Street Journal confirme la sortie prochaine d’une tablette – l’iSlate pensait-on alors. Visiblement bien informée sur la configuration technique, la journaliste glisse aussi que le prix devrait être de 1000 dollars. Trois semaines plus tard, Steve Jobs présente un iPad deux fois moins cher que prévu.Selon John Martellaro, ancien responsable marketing d’Apple, la fuite du Wall Street Journal a pu être directement orchestrée par l’entreprise.

Si la communication sur les futurs produits est verrouillée, les employés se montrent en effet parfois plus loquaces en coulisse. Courant septembre, l’un d’entre eux a confié au New York Times que des coques de protection mises en ligne par erreur par un fabricant de housse, Case-Mate, «semblaient authentiques». Autrement dit, adaptées à un éventuel iPhone 5, en forme de «goutte d’eau». Un ingénieur «au courant des plans concernant le nouvel iPhone», a lui indiqué que le nouvel iPhone serait «assez différent de l’iPhone 4 – y compris à l’intérieur».

Cet iPhone 5 radicalement différent, adoptant la forme de la «goutte d’eau» dont les fabricants de housse se sont inspirés, reste pourtant invisible. Au point de faire finalement jaillir des doutes sur sa réelle existence. «Il y a un moment où les attentes dépassent les capacités» d’Apple, prévient Roger Kay analyste chez Endpoint Technologies Associates. La sortie de l’iPhone 4S, dont les pièces détachées sont apparues en photo, ne fait en revanche plus de doute. Cet iPhone 4 amélioré a été répéré par le blog 9to5Mac dans le système interne d’Apple et dans une nouvelle version d’iTunes. Il figure aussi dans la boutique en ligne de Vodafone en Allemagne.

«J’ai le sentiment que si Apple annonce l’iPhone 4S, ce sera décevant, alors qu’avec l’iPhone 5, ce sera passionnant», résume le blogueur John Grüber, familier de l’entreprise. Comme si la rumeur, trop lourde, pouvait finalement se retourner contre Apple. La concurrence, elle, n’attend pas. L’iPhone reste certes le smartphone le plus vendu dans le monde (il s’en est écoulé 128 millions, dont 20 millions entre avril et juin). Mais Android est désormais solidement installé à la première place des OS mobiles les plus utilisés.

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