Le patron d’Apple, dĂ©cĂ©dĂ© mercredi Ă  l’ñge de 56 ans, a guidĂ© son entreprise vers les sommets grĂące Ă  une gestion particuliĂšrement stricte de ses Ă©quipes.

Steve Jobs, dĂ©cĂ©dĂ© mercredi Ă  l’ñge de 56 ans, avait l’image d’un gĂ©nie solitaire, toujours Ă  la manƓuvre pour les prĂ©sentations des produits Apple. AdulĂ© pour avoir sauvĂ© son entreprise de la faillite Ă  la fin des annĂ©es 1990, il a Ă©tĂ© l’objet d’un vĂ©ritable culte de son vivant, avec des adeptes, des figurines Ă  son effigie, des sites Internet qui compilaient ses citations et des blogs qui le parodiaient. Des livres, des documentaires et des films lui ont aussi Ă©tĂ© consacrĂ©s. Sa biographie officielle, la premiĂšre, sortira le 2 novembre.

Loin de l’image de l’entrepreneur solitaire qui l’a accompagnĂ©, Steve Jobs Ă©tait pourtant d’abord un chef d’entreprise qui savait parfaitement s’entourer. «Ce pour quoi je suis le meilleur, c’est trouver un groupe de gens talentueux et fabriquer des choses avec eux», expliquait-il en 1985 au magazine Newsweek, aprĂšs la sortie du premier Macintosh. «J’engage des gens qui veulent rĂ©aliser les meilleures choses au monde», confirmait-il vingt ans plus tard dans un entretien Ă  Business Week.

Ces employĂ©s – ils sont plus de 40.000 aujourd’hui – lui sont restĂ©s pour la plupart fidĂšles. Parmi la garde rapprochĂ©e de Steve Jobs figuraient jusqu’à sa dĂ©mission du poste de PDG en aoĂ»t des anciens de NeXT, la sociĂ©tĂ© informatique montĂ©e aprĂšs son Ă©viction d’Apple Ă  la fin des annĂ©es 1980. «Apple fait partie de ces sociĂ©tĂ©s Ă  laquelle on consacre un investissement quasi religieux», expliquait il y a peu un ancien de la sociĂ©tĂ©, aujourd’hui chez Facebook. Comme leur patron, les salariĂ©s «estiment sincĂšrement qu’ils contribuent Ă  changer le monde».

Interventionniste et perfectionniste chez Apple
Travailler avec Steve Jobs n’avait pourtant rien de simple. Sous son Ăšre, le processus de crĂ©ation Ă©manait des plus hautes sphĂšres. SĂ»r de son fait, le PDG imposait sa vision. Dans les interviews, Jobs citait souvent ce bon mot d’Henry Ford :«Si j’avais demandĂ© Ă  mes clients ce qu’ils attendaient, ils auraient rĂ©pondu ‘un cheval plus rapide’», et non une voiture. «Ce n’est pas le rĂŽle du client de savoir ce qu’il veut», ironisait-il peu aprĂšs la prĂ©sentation de l’iPad.

DĂ©terminĂ©, Steve Jobs perçoit dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 1980 que l’ordinateur personnel va devenir un bien de grande consommation, quand l’industrie tend encore Ă  imaginer le PC comme un modĂšle rĂ©duit des ordinateurs rĂ©servĂ©s aux professionnels. Il rĂ©cupĂšre le projet Macintosh Ă  Jef Raskin, que l’interventionnisme du jeune co-fondateur d’Apple finit par exaspĂ©rer. IncontrĂŽlable, Steve Jobs impose ses vues, touche Ă  tout et met ses Ă©quipes au secret. Vingt ans plus tard, il appliquera les mĂȘmes recettes lors du dĂ©veloppement de l’iPhone.

À chaque fois, Steve Jobs se montre d’un perfectionnisme implacable. Chez Apple, ses proches gardent en mĂ©moire ses sombres colĂšres et ses jugements glaçants. «Nous n’avons pas encore de produit», a-t-il lancĂ© devant 200 personnes lors de la premiĂšre grande prĂ©sentation d’un prototype de l’iPhone en 2006, Ă  quelques semaines seulement du lancement du premier tĂ©lĂ©phone d’Apple. «Il Ă©tait mĂ©thodique et attentif Ă  tout», racontait Ă  l’automne dernier John Sculley, PDG d’Apple dans les annĂ©es 1980, un des responsables de son Ă©viction Ă  qui il n’a jamais pardonnĂ©.

Une université pour transmettre la pensée de Steve Jobs
Pointilleux, Steve Jobs Ă©tait avant tout un adepte du minimalisme. De retour chez Apple en 1997 aprĂšs dix ans d’absence, il stoppe la commercialisation du Newton, l’assistant personnel dont l’iPhone est un lointain hĂ©ritier et renonce aux clones, ces ordinateurs compatibles avec le Mac mais conçus par d’autres fabricants. Apple revient Ă  l’essentiel, les ordinateurs, et rĂ©duit ses gammes Ă  quelques produits. «Il faut dire non Ă  un millier de choses pour s’assurer que nous ne faisons pas fausse route ou que nous n’en faisons pas trop», estimait Jobs.

Ce management exigeant fait des ravages parmi les employĂ©s et les partenaires d’Apple, contraints de se fondre dans ce moule. «Steve Jobs a mis des personnes mal Ă  l’aise et il en a fait pleurer», a racontĂ© Jean-Louis GassĂ©e, ancien dirigeant d’Apple France, au magazine Fortune. «Mais il avait raison presque Ă  chaque fois, et mĂȘme lorsqu’il avait tort, il apportait une telle crĂ©ativitĂ© que cela demeurait Ă©tonnant. Les dĂ©mocraties ne font pas de superbes produits. Vous avez besoin pour ça d’un tyran compĂ©tent», a-t-il ajoutĂ©.

Au fil des ans, ce tempĂ©rament a rejailli Ă  tous les niveaux chez Apple. Plus que le culte de sa personne, c’est le culte de la marque que le co-fondateur d’Apple a cherchĂ© Ă  entretenir. Avant mĂȘme le lancement de nouveaux ordinateurs, il accompagne son retour chez Apple d’une campagne publicitaire, «Think Different», qui associait Apple Ă  des figures telles que Gandhi, Einstein et Picasso. Ces publicitĂ©s, a-t-il admis un jour, Ă©taient autant destinĂ©es aux clients d’Apple qu’à ses salariĂ©s, pour leur redonner l’amour de leur travail. «Car nous avions perdu de vue ce que nous Ă©tions.»

Pour s’assurer qu’Apple lui survive, une universitĂ© a Ă©tĂ© ouverte en 2008 au sein du groupe amĂ©ricain afin de former les prochaines gĂ©nĂ©rations de dirigeants appelĂ©s Ă  lui succĂ©der, qui entoureront le nouveau PDG Tim Cook. Avec cette universitĂ©, Steve Jobs veut garantir que son mode de pensĂ©e, qui l’a conduit Ă  distancer la concurrence, sera dĂ©cortiquĂ©, analysĂ© et conservĂ© «pour que les prochaines gĂ©nĂ©rations de dirigeants puissent les consulter et s’en faire les interprĂštes», Ă©crivait rĂ©cemment le magazine Fortune. La mission de Steve Jobs, elle, est rĂ©ussie. Il laisse derriĂšre lui la sociĂ©tĂ© la plus valorisĂ©e au monde.

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