Qu’on soit pro Mac ou non, Apple a le don d’enfermer ses clients dans un système verrouillé à double tour.

A quoi sert un iPod sans iTunes ? Comment optimiser l’utilisation d’iTunes si on ne possède pas d’iPod ? La complémentarité du lecteur mp3 avec le logiciel n’est qu’un exemple de la parfaite intégration verticale hardware/software maîtrisée par Apple.

L’entreprise ne propose que des lignes de produits et de services qui se complètent, souvent indispensables l’un à l’autre pour fonctionner de façon optimale.

Un contrôle de la fabrication à l’utilisation

Avec ses logiciels et son système d’exploitation propriétaires (non compatibles avec d’autres marques), avec son système de distribution limité (revendeurs agréés, Apple Store et site internet), la marque Apple crée un écosystème fermé qu’elle contrôle de la fabrication à l’utilisation.

« Ils font fabriquer les pièces extrêmement complexes, comme les processeurs, par Samsung. Et en fin de chaîne, ils ont recours à des agences pour un peu de design, » nuancent Matthieu Lecomte, senior project analyst et Charles-Axel Dein, project analyst de l’agence FaberNovel.

Même quand il n’est pas maître d’oeuvre, Apple exerce une surveillance sévère. Dans la téléphonie mobile par exemple, la société est obligée de conclure des accords avec des tiers mais elle leur impose des conditions drastiques. Une récente enquête de La Tribune révélait quelques méthodes ontestables : rareté organisée des iPhone dans les boutiques des opérateurs, paiement par l’opérateur des campagnes de promotion de l’iPhone…

Comment la marque arrive-t-elle à entraîner tout le monde à sa suite, des développeurs d’applications aux opérateurs ou aux fournisseurs d’accessoires ?

« Les opérateurs s’y retrouvent. Les iPhone se vendent en masse, ils rentrent dans leurs frais. Les développeurs se précipitent sur l’AppStore parce que la base utilisateurs est l’une des plus importantes du monde. Peu importe que les conditions soient favorables ou pas, peu importe qu’Apple traite bien ou mal ses développeurs, on est obligé d’y être si on veut développer des applications mobiles », expliquent Matthieu Lecomte et Charles-Axel Dein.

A l’autre bout de la chaîne, le consommateur aussi est séduit par Apple, malgré des prix plus élevés que la concurrence, malgré un choix moindre et des appareils aux fonctionnalités parfois manquantes par rapport aux autres marques (iMac sans lecteur de disquette, premier iPhone sans la 3G, iPad sans port USB…).

« Une expérience utilisateur supérieure à celle des autres acteurs du marché »

Les produits, leur qualité et surtout leur facilité d’utilisation, dus à l’intégration totale avec les services et à l’élimination de ce qu’Apple juge superflu, attirent le consommateur.

« Les produits Apple offrent une expérience utilisateur supérieure à celle des autres acteurs du marché. Quand on a un iPhone, on ne se demande pas comment acheter de la musique : on va sur l’iTunes Store », résument les analystes.

Pourvu qu’on ne cherche pas à sortir du chemin balisé par Apple, car l’iPhone et l’iPod ne fonctionnent qu’avec iTunes.

Le consommateur se retrouve pris dans un système pratique mais surtout bénéfique à Apple. L’App Store et l’iTunes Store, d’après une analyse de la banque d’investissement Piper Jaffray, ne contribueraient respectivement qu’à 1 % et 12 % du bénéfice brut d’Apple.

Mais ils permettent d’abord de vendre des appareils mobiles. Leur bon fonctionnement et leur bonne image fidélisent les clients et assurent la publicité des appareils plus gros et plus chers (ordinateurs, iPad) sur lesquels Apple fait une marge importante.

Apple va jusqu’à limiter l’optimisation de ses produits (la 3G aurait très bien pu être présente sur le premier iPhone) pour pouvoir sortir des versions améliorées et inciter les consommateurs à renouveler leurs achats.

« On voit l’attraction que la marque a su susciter chez les acheteurs. En marketing, c’est ce qu’on appelle le ‘ halo effect’ : la perception positive d’un seul produit se reporte sur toute la gamme. Si Apple sortait un cahier ou un stylo, les gens applaudiraient. »

Apple façonne l’expérience de l’utilisateur. Avec ses appareils mobiles, on ne navigue pas sur l’immensité du web mais sur un choix d’applications formatées et approuvées par Apple, dissociées les unes des autres. L’argument de la qualité, brandi par Apple pour justifier son contrôle sur les applications, permet aussi de décider des contenus.

Tout ce qui dérange est censuré, ou interdit

La pudibonderie de Steve Jobs mène parfois à l’autocensure (l’application Playboy « habillée » pour iPad) ou à la censure comme pour cette adaptation en BD d’Ulysse de James Joyce où l’on voyait un héros nu, refusée avant un rétropédalage embarrassé.

Les applications qui pourraient marcher sur les plates-bandes d’Apple risquent aussi d’être interdites d’AppStore, comme Grooveshark, qui permet d’écouter de la musique en streaming et qui pourrait concurrencer iTunes, mais aussi des magazines comme la revue danoise Android Magasinet, dédiée à Android, le système d’exploitation créé par Google.

Matthieu Lecomte et Charles-Axel Dein relativisent : « Steve Jobs dit souvent que, certes, ils contrôlent les applications mais qu’en même temps n’importe qui peut proposer à peu près les mêmes fonctionnalités sur un site internet. C’est une approche assez pragmatique. Il me paraît exagéré de parler de censure. Un guide très précis explique les raisons pour lesquelles les applications se font rejeter. De manière générale, quand on applique ces guidelines, il n’y a pas de difficulté. »

Le consommateur n’a pas forcément connaissance de ces guidelines et de leurs conséquences sur sa liberté de choix. Il est facile de dire qu’il peut aller voir ailleurs quand tout est fait pour l’en dissuader.

Apple ressemble à un club privé auquel tout le monde veut appartenir, sans prêter beaucoup d’attention au règlement intérieur.

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